Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

« MONDIALISATIONS » : PREMIÈRE, DEUXIÈME, ETC.

En traversant la réponse de Marcel Gauchet à Achille Mbembe*, je retiens la double correction : 1. l’opération qui consiste à historiciser le(s) processus de la « mondialisation » et la lutte des identités nationales entre elles ; 2. l’impossibilité de faire abstraction de ces mêmes identités, et des nations par exemple, au nom de la logique trans-nationale de « l’en-commun ». Cette contre-argumentation ne va pas sans difficultés toutefois. Certes le propos tend à périodiser justement le phénomène de la « mondialisation », pointant pour partie l’inadéquation conceptuelle du terme : il y a une « première mondialisation vraie » [je souligne], celle de l’impérialisme colonial ; il y aurait une deuxième mondialisation – dont la nature n’est pas exactement spécifiée ; ce sont ses effets plutôt qui sont envisagés – celle que nous vivons actuellement. L’intérêt est que le processus ainsi compris mais guère défini est disposé dans la longue durée (voir également Edgar Morin). L’idée cependant qui transparaît et mériterait sans doute d’être précisée est, outre l’emploi privilégié de « mondial », « mondialisé » ou « mondialisation » dans la littérature d’expression francophone (plutôt que global ou globalization), l’instabilité et la pluralité ouverte d’un mot et de son champ problématique. De ce point de vue, en effet, la question de la mondialisation et celle des « identités » sont inséparables. L’enjeu est de savoir ensuite comment on pense ces « identités » : « Il n’y a pas si longtemps, chacun vivait dans son coin, sans se tracasser de son identité. Elle vous était tout simplement donnée avec votre société. » Ce qui passe aussitôt par-dessus la condition des langues et l’articulation langue-société-culture. L’identité est tout autant donnée par la/les langues que par la société et c’est ce qui explique aussi qu’elle désigne non seulement une origine ou un héritage collectifs, du temps et du passé, mais une activité des sujets, des communautés, des peuples – en devenir. La deuxième mondialisation est inhérente aux décolonisations, comme inversion et réappropriation de l’universalisme européen : « N’oublions pas que la décolonisation s’est faite au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, un droit que les Européens avaient consacré chez eux, mais oublié d’appliquer au-dehors. Il a triomphé partout. Comme quoi il y avait bien quelque chose d’universalisable dans ce que la domination charriait avec elle, quelque chose de plus fort qu’elle et capable de la renverser ». Soit mais l’optique demeure ambiguë : l’oubli en question, dans sa démesure même, a été historiquement coûteux ; il n’est pas posé ici en principe de cette universalité (comme s’il en était constitutif) mais révélé au contraire à travers son actualisation pratique. Au lieu d’être ce droit dont le caractère résolument fictif a été dénoncé de longue date, au moins depuis Marx, et a donné lieu à des critiques classiques (comme expression des intérêts d’une classe sociale particulière ou de la domination masculine, etc.), il prend ici les traits d’un excédent, qui résiste au cœur même de la mondialisation, en ce qu’il en représenterait l’un des opérateurs : « quelque chose d’universalisable » ou « noyau d’universalité » distincts de l’universalité. Si l’on préfère, c’est en définitive cette tension entre l’universel et l’individuel qui sert d’instrument heuristique : « Il a émergé en Europe, mais a échappé aux Européens. Chacun se l’approprie à sa façon. Mais ce faisant, il oblige tout le monde à se redéfinir dans sa particularité par rapport à lui, en même temps qu’à se situer par rapport aux autres manières de s’en saisir et d’en jouer ». L’analyse est partiellement justifiée pour une histoire des décolonisations et des néo-colonialismes. Elle ne ressortit pas moins à une histoire encore elle-même très eurocentrée de la « mondialisation ». Tandis qu’elle éclaire le rôle des histoires nationales, comme les « réactions identitaires » nourries par le sentiment d’« effraction » ou de « dépossession », l’universel illustre malgré tout un ethnocentrisme du concept.