Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 31 juillet 2017

DÉPARTEMENT


Philologie académique. Il y a de quoi s’interroger sur cette notion, empreinte d’évidence, aussi courante que floue, finalement. Ce n'est ni vain ni superflu. En regard de « qu’est-ce qu’une discipline ? », de nature plus immédiatement épistémologique, il y a « qu’est-ce qu’un département ? ». Sa logique semble d’abord divisionnaire : elle suppose à la fois soustraction et discontinuité ; elle est ensuite et avant tout administrative – plutôt relative au monde de la gestion. À ce titre, elle devient rapidement politique (au double sens probablement de « policy » et « politics »). Souci : comment s’articulent discipline et département ? les points de convergence, de failles, d’identité, etc., qui en font l’histoire, les traditions, les ritualités, les changements, les figements, ou plus simplement les routines. Entre département et discipline, les rapports de tension/résistance se nouent et se localisent. (Note-souvenir : la loi française des universités, qui ne reconnaissait pas officiellement les départements, mais seulement les équipes de recherches et les UFR, nées après 68 sur les cendres des Facultés...). 

DEPUIS DEUX MILLE ANS...

Précision : il faut bien comprendre que c'est cette même inconnaissance qui engendre le poème, son inachèvement et sa perpétuation, la formule et sa reformulation. Car si sa tâche est de faire écho à la parole divine, c’est précisément en rendant « inconnu » l’enseignement « connu » (Le Porche, ibid., p. 725) de Jésus – les Évangiles – depuis « deux mille ans » (p. 723) qu’il sert, effraie ou ébranle. C’est sans nul doute aussi prendre autrement le champ du religieux, des religions – aujourd’hui.

ÊTRE UN CORPS


En relisant mes notes sur Péguy, il n’y a peut-être pas de plus grande limpidité, pas de plus grande lucidité dans l’énoncé même de la question. Abordant cette connaissance qui fait défaut aux anges dans Le Porche : « ce que c’est que d’avoir un corps, d’être un corps » (Œuvres poétiques et dramatiques, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2014, p. 678. Sans doute y a-t-il ontologie – ontologie dans laquelle le lien que le sujet entretient avec le corps n’est plus d’extériorité. Celui-ci n’est pas l’enveloppe ni même l’étendue disposées en soi et hors de soi, qui ouvriraient à la réalité et au vécu, un attribut ou une propriété simplement objectivables de l’être. Le corps étant résolument constitutif du sujet qui, en retour, puise dans cette impossible déliaison de quoi s’y définir, il inscrit à première vue l’ontologie dans la connaissance sensible. Mais Péguy ne l’oppose pas à la connaissance rationnelle. Ce que l’auteur désigne par « point d’incarnation » (Victor-Marie, comte Hugo, Œuvres en prose complètes, 1992, t. III, p. 235), apte à unir l’éternel et le temporel, engage non le point sensible mais sa liaison au point de pensée. Nuance capitale : car le point de pensée n’est pas la pensée même mais plutôt ce qu’il y a à penser, de même que ce qui est appelé « point sensible » est cette intensité physique qui meurtrit et éclaire à la fois, procurant espérance et inquiétude. Cette intensité place, sans leur donner le choix, les hommes devant une question de nature théologique, et met en mouvement cette question, y compris dans ce qui, en elle, ressortit virtuellement au différend. Autant de divisions possibles entre les hommes qui ne sauraient se régler par les seuls pouvoirs de la rhétorique et de l’oraison, dont les Cahiers portent la trace, évidemment. La connaissance par le corps dont il est question, inséparable de ce que j’ai développé autour du point de répondance, se rapporte fondamentalement à une inconnaissance. Elle est ce qui tourne par l’Autre absolu qui le blesse le corps-sujet (voir la reprise de la tradition mystique, et les lèvres christiques sont sensuelles) vers son devenir et, en conséquence, investit la créature et sa parole du maximum d’historicité. Le divin sur un plan d’immanence. Mais même ainsi, « ce que c’est que d’avoir un corps, d’être un corps » me semble loin d’être épuisé. Et cela va au-delà de Péguy et de ses poèmes.